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PORTRAITS D’ENFANTS: TOM, 5 ANS

roux

 

Je suis directrice d’école. Je vois beaucoup d’enfants et je côtoie habituellement les plus agités ou troublés. Les autres ont moins besoin de moi. J’ai des protégés. Ce sont les plus démunis. Pas que les petits bien habillés, bien propres et bien polis ne me touchent pas, mais ils ont tout ce dont ils ont besoin. Pas mes petits chouchous.

Et parmi ceux qu’il m’a été donné de croiser, il y en a un, à qui je pense encore beaucoup. Je vous raconte. Il est beau comme un cœur. Tout rousselé. Il a 5 ans, potelé. Il est en maternelle. Ses parents ont une déficience légère. Le père est alcoolique. La mère est méchante.  Je vais appeler mon chouchou, Tom. Ce n’est pas son vrai prénom. Tom est attachant malgré qu’il ne sente pas toujours bon et qu’il soit un peu tannant. Comme il a déjà un dossier d’aide à son actif, je le feuillette et m’aperçois qu’il y a déjà eu des plaintes de formulées à la Direction de la Protection de la Jeunesse pour négligence parentale. Les parents sont d’ailleurs suivis par une équipe de professionnels. Une technicienne en éducation spécialisée s’occupe de lui, à l’école, quand ça ne va pas. On garde l’œil ouvert.

Un bon matin, je croise Tom qui saigne de la lèvre. Je l’accompagne aux toilettes pour l’aider à le soigner. Je vois alors sur sa lèvre supérieure, ce qui me semble être une brûlure en train de guérir. Tom a arraché la gale. Mon cœur fait un bon et je lui demande tout bonnement comment il s’était fait ce bobo. Il me répond candidement que sa mère a échappé sa cigarette sur lui. Mon cœur s’arrête. Je lui pose d’autres questions. J’ai la certitude que sa mère n’a pas échappé sa cigarette mais qu’elle lui a carrément écrasée sur la lèvre. On voit bien le trou, bien rond et creux. Je l’emmène voir la technicienne et on procède à lui demander de soulever les manches longues de son chandail, puis on découvre son dos. Il a des marques.

On discute avec lui. Il nous parle ouvertement qu’il va voir un monsieur, un ami de sa mère et que celui-ci lui donne des billets rouges (50$). On découvre que ces cadeaux ne sont pas de généreux dons anodins mais qu’il doit performer des actes de nature sexuelle pour les obtenir, avec le consentement de maman. Il n’a pas les mots pour décrire ce qu’il doit faire, alors il mime les gestes. Très explicites. Nous sommes horrifiées.

Ébranlées, nous communiquons avec la DPJ qui retient le signalement. Un représentant va voir directement les parents en leur dévoilant les propos du petit. Le lendemain la DPJ vient rencontrer Tom. Évidemment, il change son histoire et dit que maman ne veut pas qu’il parle.

Bref, nous sommes coincées. Par contre, d’autres événements se produisent et nous permettent enfin d’avoir un dossier béton. Nous sommes conviées à aller témoigner en cour.  Le juge est d’avis que l’enfant est en danger dans sa famille biologique. Par contre, comme il n’y a pas de familles d’accueil disponibles dans la région et que Tom devrait s’éloigner et changer d’école, il décide de le laisser chez lui. Je suis sans mot.  À partir de ce moment, les parents se méfient de nous et l’enfant aussi. Il restera fermé comme une huitre.

Un mois plus tard, sa grande sœur fait un signalement à la DPJ pour violence. Son signalement est retenu. Elle est retirée de la famille, mais pas Tom. Le signalement ne le concernait pas!

Puis, les parents déménagent, emmenant mon beau Tom avec eux, hors de ma portée. Je n’ai plus revu Tom, mais j’y pense souvent. Chaque fois que j’entends son prénom ou que je croise un petit rouquin dans l’école. J’espère qu’il va bien. Je sais que ce n’est pas le cas.