enfant

Portraits d’Enfants: Claude, 13 ans

Schoolboy Struggling with Math Problems

Claude, comme Ruby, dont je vous ai déjà parlé, faisait partie de ma première cuvée d’élèves en tant qu’enseignante d’anglais au présecondaire. Claude était maigre, toujours affaissé sur son pupitre.  Son commentaire préféré : « c’est plate ». Rien ne semblait l’allumer. Été comme hiver, il portait les mêmes vêtements usés, t-shirt fade, souliers troués. Il incarnait la pauvreté. Sa mère était une droguée finie qui faisait le trottoir dans notre petite ville. Je l’avais déjà aperçue, faisant la tournée des bars. Pathétique.  Claude participait quand même bien quand je faisais des enseignements  à l’oral. Par contre, il finissait toujours par s’endormir. Un peu insultant pour une enseignante, mais je soupçonnais qu’il manquait de sommeil,  et de bien d’autres choses.

J’emmenais quelque fois des vêtements usagés que je destinais à cet élève. Pourtant, il était tellement orgueilleux qu’il ne les prenait pas. Tous les autres élèves de la classe en voulaient un morceau, et Claude, lui, ne faisait pas mine d’en avoir besoin.  Un bon jour, je lui ai apporté une paire de botte d’hiver et lui ai donnée en privé. Il était content. L’hiver était froid, et je n’en pouvais plus de le voir arriver à l’école avec ses petits souliers de toile troués. Le lundi suivant, Claude était de retour en classe avec ses souliers de toile. Quand je lui ai demandé où étaient ses bottes neuves, il m’a répondu que sa mère les avait gardées. J’étais enragée.

Un bon après-midi, j’ai demandé à Claude de venir au tableau. Il était pâle et chétif, comme d’habitude, mais cette fois-ci, il a refusé de se lever. J’ai insisté. Il m’a dit qu’il ne pouvait pas. Je lui ai demandé pourquoi, il m’a dit qu’il ne pouvait  plus bouger. Bon,  quoi encore? Je n’ai pas embarqué pas dans son jeu et lui ai intimé un peu plus directement de se lever et de venir au tableau. Il m’a répété qu’il ne pouvait pas se lever, qu’il était comme paralysé. Je me suis aperçue  alors qu’il tremblait de tous ses membres. Je commençais à me rendre compte qu’il ne pouvait  peut-être pas bouger.  La cloche a sonné, les autres élèves ont  décampé en vitesse. Je suis restée avec Claude. Lui ai demandé s’il avait mangé aujourd’hui. Il m’a dit non. J’ai essayé de l’aider à se lever. Rien à faire. Il était en détresse et je vous avoue  que moi aussi. J’ai dû appeler une ambulance. La direction a communiqué avec sa mère. On a installé Claude dans une chaise roulante et j’ai attendu  l’ambulance avec lui. Quand sa mère est arrivée, pas un regard pour son fils. Elle s’est dirigée vers le directeur pour l’engueuler d’avoir appelé l’ambulance alors qu’elle n’avait pas d’argent pour payer. Pendant qu’elle crachait son venin sur le directeur, j’ai accompagné Claude vers l’ambulance et j’ai tenté de le rassurer comme je pouvais. Il est parti alors que sa mère criait encore. Quand je me suis retournée pour regarder sa folle de mère, j’ai vu qu’elle portait les bottes  que j’avais destinées à Claude.  J’ai presque eu l’envie d’aller les lui arracher des pieds.

J’ai su par la suite que Claude avait le scorbut! Une maladie causée par une grande carence en vitamine C, maladie qui avait disparu depuis près d’un siècle et qui touchait principalement les anciens marins qui voyageaient sans fruits sur les bateaux. Le scorbut peut mener à la mort.

Je n’en revenais pas.   J’ai compris pourquoi Claude s’endormait dans mes cours, et que j’aurais pu danser sur les tables, qu’il se serait endormi pareil. J’ai compris aussi que la négligence parentale était un acte criminel. Je venais de commencer à en voir de toutes les couleurs.

 

Une journée dans la vie d’une directrice d’école

Texte primé par le journal La Presse et publié le 18 juin 2006 dans Opinion des Lecteur

directricea

Première journée de classe de l’année. Dans une petite école de 221 élèves, la journée commence en lion. 7h30 : j’arrive à mon bureau car je veux écrire tranquillement ce que je veux dire aux élèves lors du grand rassemblement au gymnase. J’ai traîné mon café et mon bagel Tim Horton, espérant pouvoir travailler tranquillement pendant quelques minutes avant que le personnel enseignant arrive et que l’action commence. J’ouvre mon ordinateur. Un papa entre alors à mon bureau. Il est désemparé, les yeux dans l’eau. Je l’accueille, sachant que je n’aurai plus le temps d’écrire mon texte. Sa femme de 49 ans se meurt d’un cancer. Son fils ne veut pas venir à l’école. Il a mal au cœur. Pourrais-je le changer de groupe car il connaît bien l’autre enseignante et se sentirait plus à l’aise? Je n’ai pas de place dans ce groupe. J’essaie de lui expliquer la règle administrative qui veut qu’on doive respecter les quotas d’élèves dans chaque groupe à cause de la convention collective. Au lieu de cela, je m’entends lui dire  que c’est déjà fait. Pas de problème, je vous arrange ça. Le monsieur ne se lève pas. Il a besoin de parler. Déboussolé. Ne sait pas quoi faire avec les tâches du quotidien. Il pleure toujours. Je lui conseille d’appeler au CLSC. Peut-être qu’on pourra l’aider. J’ai envie de pleurer avec lui mais je me fais rassurante.

 

Il part. 8h50. Je devais faire un exercice de respiration à l’intercom à 8h45 dans le cadre de notre programme de Brain Gym. Habituellement c’est l’éducatrice physique qui le fait mais je dois la remplacer. Je cours jusqu’au micro, haletante, je demande aux élèves de respirer lentement et calmement pendant que je tente de reprendre mon souffle. Fin du message. Les plus vieux élèves m’attendent au gymnase. Je n’ai pas eu le temps de préparer mon texte. J’improvise. Ça ne paraît pas, évidemment. J’ai l’habitude.

 

Sors du gymnase. L’enseignante de maternelle vient me chercher. J’arrive dans sa classe et la scène me déboussole un moment. Les élèves sont assis en cercle. L’accompagnatrice tente de calmer une enfant qui présente une déficience atypique (on ne sait pas trop encore ce que cela implique puisque le centre de réadaptation n’a pas encore communiqué avec nous). L’enfant, qui a l’âge mental d’un enfant de deux ans, est en crise. Pendant ce temps, l’autre enfant handicapé physique que la même éducatrice suit, est laissé à lui-même. L’enseignante ne peut faire grand chose. L’accompagnatrice devrait quitter la classe avec la petite qui hurle mais ne peut quitter le petit handicapé….C’est donc la responsable du Service de Garde (qui se trouve à être dans l’école) qui se charge de bercer la petite. Ouf, la crise est passée. Je m’engouffre dans mon bureau pour tenter de rejoindre le Centre de réadaptation. J’aimerais qu’on fixe une rencontre dans les plus brefs délais pour tenter de monter un plan d’intervention.

 

Je dois raccrocher avant même d’avoir terminé ma conversation car une enseignante me fait de grands signes : un petit de première année a disparu. Je pars à sa recherche. Il se cache. C’est apparemment ce qu’il a fait toute l’année dernière dans son autre école. Je le trouve avec une paire de ciseaux à la main, prêt à l’affrontement. Je prends une méthode détournée pour le faire venir à mon bureau en lui disant que je m’en vais l’y attendre et que je voudrais le voir d’ici deux minutes. Ça ne fonctionne pas, il fugue de nouveau. Me voilà à faire le tour de l’école à l’intérieur comme dehors. J’ai peur qu’il soit en danger. J’aurais besoin que la psychoéducatrice soit ici pour gérer ce problème mais nous sommes un mercredi et elle n’est ici que le lundi…Retourne dans mon bureau pour contacter le psychoéducateur qui était dans le dossier l’an passé et lui demander s’il n’ a pas un truc  à me donner. N’ai pas le temps de finir la conversation car mon concierge me fait de grands gestes. Il a retrouvé l’enfant. Je dois venir tout de suite. J’ai peur qu’il se soit blessé avec ses ciseaux. Il s’est embarré dans une cabine de toilette et donne des coups dans la porte et sur les murs. Je lui dis qu’il pourra sortir quand il le voudra. Le concierge et moi sortons de la salle de toilettes. J’éteins la lumière et  ferme la porte. J’attends à l’extérieur. Mon truc fonctionne, le petit sort. Nous devons lui enlever les ciseaux de force et le traîner dans mon bureau. Le concierge est en retard sur son horaire mais je lui demande quand même de rester près du jeune. L’épopée est terminée pour ce matin. Il est 11h00 et le petit rejoint sa mère d’accueil car sa vraie mère l’a abandonné. Son histoire me tort le cœur. Je n’ai pas touché à mes piles de travail ce matin. Pas plus qu’à mon bagel et mon café Tim Horton, froids. J’avale un milk shake protéiné et tente de retourner quelques appels.

 

Le cirque recommence dès 13h00. Mon petit fugueur fait maintenant une crise majeure dans la classe, devant ses petits camarades apeurés. Il est grimpé sur un bureau, crie et chante des chansons vulgaires. L’enseignante n’ose pas sortir de la classe et laisser les élèves à eux mêmes. C’est encore une fois la responsable du service de garde qui passait par là qui doit le maîtriser physiquement pour l’amener à sortir de la classe. On appelle la mère d’accueil pour qu’elle le ramène à la maison. Le problème, c’est que si elle quitte avec l’enfant, je me retrouve sans accompagnatrice dans la classe de maternelle car ELLE est l’accompagnatrice.

 

Je termine ma journée, exténuée. Je suis directrice d’une petite école mais la plupart du temps, je suis occupée à faire autre chose. Occupée à panser les plaies d’enfants maltraités et mal aimés, abandonnés ou négligés. Occupée à combler des services que nous n’avons pas les moyens de nous offrir. Je suis directrice d’une petite école de quartier au Québec.

 

PORTRAITS D’ENFANTS: NATHAN, 16 ANS

pot

Vous avez lu les portraits de Tom et de Ruby. Je vous présente maintenant Nathan. Je l’aime bien Nathan, même s’il a des comportements inacceptables. Il a 16 ans. Il consomme du pot tous les jours, il menace les autres et leur fait peur. Mais il vient de loin. Je l’ai connu alors qu’il n’avait que 10 ans. À l’époque, il ne savait pas encore écrire son nom. Mais il était très intelligent et cultivé. Vous lui posiez une question, il avait la réponse. Mais si la question était écrite, il bloquait, donc, il échouait ses évaluations. Quand je le regarde, à 16 ans, 6pieds, ce que je vois, c’est le petit Nathan que j’ai connu. Celui qui était victime de violence à la maison, sans défenses.

Nathan a toujours eu de bonnes raisons pour ne pas avoir la tête aux études. Quand il arrivait à la maison, le soir, il avait toujours peur de trouver son père en colère. Son père maniaco-dépressif. Lorsque papa prenait sa médication, cela pouvait aller, mais si Nathan arrivait de l’école et que la pilule de son était restée sur la table, il pouvait s’attendre au pire. Des volées, il en a mangées, Nathan. C’est pourquoi aujourd’hui, quand il menace les autres, il pense qu’il n’est pas violent parce qu’être violent, c’est frapper. Et lui ne frappe personne. Il ne fait que parler.

Nathan a un déficit d’attention prononcé. Il ne prend pas de Ritalin. Il se drogue à la place. Faut bien panser ses souffrances comme on peut. Ses parents le savent mais tant qu’il ne fume  pas dans la maison, c’est correct. On continue de le scolariser malgré ses écarts, car quelles options s’offrent à lui sinon? Je l’aime bien Nathan. Il a du potentiel. Mais quand il est sous influence, il est arrogant, impoli et menaçant. Je lui donne comme conséquence de passer ses prochaines récréations seul, pour laisser les autres respirer. Mais son père se fâche et vient me rencontrer pour que je retire cette conséquence parce qu’il pense qu’on détruit l’estime de son fils. Et toi, papa, quand tu frappais sur ton p’tit gars sans défense, était-ce pour améliorer son estime de lui?

LA VÉRITÉ SUR LES MENSONGES

mensonge

Le fait est que tout le  monde ment, même les enfants. Ils mentent vers 4 ou 5 ans pour jouer avec les mots, parce qu’ils fabulent encore un peu et s’inventent des histoires rocambolesques, par plaisir ou pour épater la galerie. Ils mentent aussi pour éviter une punition.  Après 7 ans, les enfants mentent plus sciemment. Leur concept du bien et du mal se développe et ils savent faire la différence.  Vers 10 ans, ils veulent être acceptés socialement. Alors ils mentent quelquefois pour faire partie du groupe. À l’adolescence, ils mentiraient à leurs parents une fois sur deux!

Le premier mensonge concret dont je me souviens remonte justement à l’âge de 10 ans. Je jouais aux dards dans le sous-sol de ma tante Georgette et mon oncle Robert. Malhabile, un de mes dards a foncé droit dans un cadre vitré posé contre le mur, un peu plus loin (en fait, pas mal plus loin). La vitre a craqué, comme un pare-brise craque lorsqu’une roche le percute. J’étais mortifiée. Quoi faire? Dire la vérité? Non, mon oncle et ma tante m’en voudraient et ne m’aimeraient plus. J’ai donc caché la situation pendant un long mois. Tout ce temps, j’étais rongée en silence par la culpabilité. Pourtant, personne ne semblait s’être aperçu de mon crime. Toujours est-il qu’après un mois, j’ai craqué et en pleurant à chaudes larmes, j’ai raconté mon drame intérieur à ma mère. Elle m’a dit que ce n’était pas grave, mais que je devrais les appeler pour leur dire la vérité. Ce que j’ai fait. Leur réaction m’a surprise. Pas de drame, pas de cris, pas de remontrances. Ils m’ont dit que ce n’était pas grave et ça s’est terminé là. Et j’ai compris que la prochaine fois, je ferais mieux de dire la vérité au lieu de culpabiliser en silence.

En fait, mon expérience personnelle m’a démontré que les enfants mentent souvent parce qu’ils ont peur d’être rejetés. De leurs amis, de leurs parents, des adultes qu’ils côtoient. Alors au lieu de dire « Mon enfant de ment pas », pourquoi pas se demander POURQUOI il a menti. Une fois la source connue, on pourra solutionner le vrai problème.

Il y a trois sortes de mensonges

Le mensonge blanc : on complimente pour faire plaisir. On veut protéger quelqu’un. L’intention est bonne. Qui n’a pas déjà complimenté un collègue sur sa nouvelle coupe de cheveux qu’on ne trouve pas trop belle, juste pour faire plaisir?

Le mensonge défensif : On ment pour se protéger des conséquences que notre geste pourrait avoir. Punition à l’école ou à la maison. Ce n’est pas moi, je le jure! C’est lui qui a commencé! Je n’ai pas fait exprès!

Le mensonge délibéré : sorte de manipulation délibérée qui a pour but d’épater la galerie, d’influencer notre entourage, de faire faire quelque chose à quelqu’un.  On conte une histoire et on en met un peu plus, pour rendre l’histoire plus excitante. On exagère un peu notre apport dans la réussite d’un projet. On ment sur notre déclaration d’impôts. On se déclare malade pour aller faire du shopping.

Tout le monde ment et nous ne sommes pas mythomanes pour autant. Si notre vie est monotone, on essaie de l’enjoliver. Si notre sécurité n’est pas assurée à la maison, on voudra s’en protéger et on ment pour éviter le pire. Si nous voulons influencer les autres, on omet certaines informations qui ne sont pas à l’avantage de nos idées. Elles passent mieux ainsi. La preuve en est les discours électoralistes. On nous fait miroiter la lune, et nous on veut y croire. En fait, on vote souvent pour le plus menteur, parce que ce qu’il promet nous plait. On s’arrête peu à savoir si les rêves sont réalisables.

Le petit mensonge occasionnel n’est pas grave dans la mesure où il ne cause pas de tords irréparables. Par contre, un mensonge substantiel peut nuire au développement de liens de confiance. Le manque de confiance amène le doute. Et quel parent a envie de commencer à douter de son enfant? Quel amoureux a envie de douter de sa douce moitié? Quel patron a envie de douter d’un employé?

Une belle phrase d’Anais Nin dit : « À la racine du mensonge se trouve l’image idéaliste que nous avons de nous-mêmes et que nous souhaitons imposer à autrui ».

Si votre enfant ment pour être reconnu par ses pairs, il a peut-être un manque de confiance en lui. Il ne s’estime pas assez pour être lui-même et doit beurrer épais pour qu’on le trouve intéressant. Il compare sa vie à celle de ses amis, et trouve la sienne un peu banale. Peut-être est-il sous-stimulé? Peut-être qu’une activité en famille lui ferait du bien? Qu’il ait des choses à raconter qui soient vraies.

S’il ment pour éviter une punition à la maison, peut-être faut-il se demander si la réaction des parents n’est pas un peu trop intense. Il faut alors dédramatiser et donner des conséquences efficaces mais pas traumatisantes. Une excuse, un geste réparateur suffisent la plupart du temps.

Enfin, s’il ment, il faut se réconforter en se disant qu’il est normal, sans pour autant banaliser. On lui explique les conséquences néfastes des mensonges; On aura de la difficulté à la croire la prochaine fois, il faudra qu’il travaille pour rebâtir la confiance. Il faut que l’enfant voie qu’il aura des avantages à dire la vérité. Si on le menace avec une punition trop grande, il n’aura pas envie de nous la révéler. Il aura trop peur des conséquences. On encourage le jeune à dire la vérité, si, lorsqu’il nous la dit, on dose nos réactions et on accepte la vérité énoncée. On lui dit qu’on est fier qu’il ait été assez courageux pour avoir été honnête et on lui montre ce qu’il faut faire la prochaine fois.

En tant qu’adulte, l’important est de savoir pourquoi on ment. Si je m’achète une nouvelle paire de chaussure et que je le cache à mon partenaire, je dois savoir pourquoi. Éviter des remontrances, cacher un problème de surconsommation, éviter une dispute. En fait, c’est ce qu’on évite de confronter qui est le problème. Le mensonge n’est qu’un symptôme que quelque chose cloche. Le pire serait de se mentir à soi-même.

Pour en savoir plus, lire l’article : Les parents et le mensonge

PORTRAITS D’ENFANTS: RUBY, 14 ANS

punk

Ruby portait très mal son prénom. Un punk /skinhead de 14 ans, qui n’avait rien d’une pierre gemme chic. J’avais tout  juste fêté mes 21 ans et j’entamais  mon premier contrat  comme enseignante en anglais au présecondaire. Une classe d’environ 16 élèves qui n’avaient pas réussi leur primaire et n’avaient pas vraiment eu de cours d’anglais avant le mien.  J’avais décroché le contrat parce que le prof avant moi avait donné sa démission. Tout un contrat.

Ruby, donc, était un des élèves de cette classe.  La première phrase qu’il m’a lancée en entrant en classe au mois d’août : Salut Boucle d’Or! Ça commençait mal. Cet élève de 14 ans venait, en une seule phrase, de me faire sentir comme une petite fille devant lui. Moi qui voulais avoir l’air professionnel. Malgré ses 14 ans, Ruby passait ses fins de semaines à Montréal, sur la « main », à faire le squidgy avec d’autres skinheads. Il était arrivé à l’école le lundi avec son furet sur l’épaule. J’avais devant moi, un premier défi. Quoi dire à un élève qui a un furet sur l’épaule en classe? Où voulez-vous qu’il mette son furet?  Il était futé ce Ruby. Il se doutait certainement que les furets n’étaient pas acceptés dans les classes et devait se dire que je l’expulserais et qu’il pourrait flâner toute la journée. Mais c’étaient les premières minutes de mon premier contrat. Je n’étais pas pour expulser un élève à peine 5 minutes après la première cloche. Je dis donc à Ruby qu’il pouvait garder son furet pour cette période, mais que je ne voulais plus jamais le revoir après. Ruby sembla déçu de ma réaction ou de mon absence de réaction. Je crois que je venais de remporter la première manche.  Étonnamment, Ruby n’emmena plus jamais son furet en classe. Moi qui m’étais cassé la tête entre mon premier cours et le deuxième à me demander quoi faire s’il ramenait sa bestiole. J’avais même trouvé une petite cage que j’avais apportée à l’école et mise dans un dépôt, au cas où.  S’il la rapportait, je mettrais la bête dans une cage, dans le dépôt! J’ai vite compris que c’était comme ça, avec des élèves difficiles. Il fallait se tourner sur un 10 cents, développer des stratégies pour contrer les leurs.  Ils trouvaient toutes sortes de plans pour nous faire sortir de nos gonds et nous faire perdre le contrôle. Ça été mon premier défi : ne pas perdre le contrôle.

Inutile de vous dire que Ruby ne trippait pas sur l’école ni sur les cours d’anglais. Ruby avait vécu 20 vies, alors que j’étais jeune et inexpérimentée. Je ne faisais pas le poids devant son expérience. Je n’avais aucune idée de ce qu’il pouvait vivre. Son univers était à 1000 km du mien. Pourtant, chaque fois qu’il entrait en classe, je lui posais des questions sur son weekend. Et il prenait plaisir à me traumatiser avec ses histoires de rues.  J’étais fascinée. Comment un jeune de 14 ans pouvait vivre ça? Je n’ai peut-être pas montré grand-chose à Ruby dans le domaine des langues, mais Ruby, lui m’a appris beaucoup sur mon métier d’enseignante. J’ai vite appris sur le tas, que ce n’est pas parce qu’on prépare de belles activités supposées motiver les élèves à apprendre, que ça fonctionne.  Par contre, si je donnais un peu d’attention à mon skinhead, il me permettait de donner mon cours sans m’embêter. On dirait qu’on avait un accord tacite. Je m’intéressais à lui, il me laissait enseigner.  Pourtant, mes petites activités sur Noël et l’Halloween, il s’en foutait-tu vous pensez?  Quand tu passes tes fins de semaines à coucher dans des piqueries, à quémander  de l’argent aux passants pour te droguer, les chansons de Nowel, c’est loin de tes champs d’intérêts.

Et intéresser mes élèves, c’était ma première mission. Ma seule, en fait puisque tout le reste dépendait de leur intérêt. Je me suis donc mise à inventer des textes où mon personnage s’appelait Ruby, (ou un nom d’un autre élève de la classe). J’ai mis en scène son personnage à Montréal. Je parlais de la rue Ste-Catherine. Et ça fonctionnait! Quand j’incorporais un élément dans mes activités, qui lui parlait, il était toute-ouïe.  Le reste du temps,  il nous observait, moi et le reste de la classe, comme si nous étions tous un peu attardés. Quand un élève avait un comportement inapproprié, il le remettait à sa place.  Ça lui clouait le bec. Et moi, j’étais très heureuse de ses interventions. Je n’aurais jamais pu dire à un élève de se la fermer, mais venant de lui, ça passait, et très clairement.

Bref, de Ruby, j’ai gardé un souvenir très net, et le surnom de Boucle d’Or qui m’a suivi un moment. Il doit avoir 35 ans aujourd’hui. J’ai de la difficulté à m’imaginer ce qu’il est devenu. Qui sait,  peut-être est-il bilingue?

PORTRAITS D’ENFANTS: TOM, 5 ANS

roux

 

Je suis directrice d’école. Je vois beaucoup d’enfants et je côtoie habituellement les plus agités ou troublés. Les autres ont moins besoin de moi. J’ai des protégés. Ce sont les plus démunis. Pas que les petits bien habillés, bien propres et bien polis ne me touchent pas, mais ils ont tout ce dont ils ont besoin. Pas mes petits chouchous.

Et parmi ceux qu’il m’a été donné de croiser, il y en a un, à qui je pense encore beaucoup. Je vous raconte. Il est beau comme un cœur. Tout rousselé. Il a 5 ans, potelé. Il est en maternelle. Ses parents ont une déficience légère. Le père est alcoolique. La mère est méchante.  Je vais appeler mon chouchou, Tom. Ce n’est pas son vrai prénom. Tom est attachant malgré qu’il ne sente pas toujours bon et qu’il soit un peu tannant. Comme il a déjà un dossier d’aide à son actif, je le feuillette et m’aperçois qu’il y a déjà eu des plaintes de formulées à la Direction de la Protection de la Jeunesse pour négligence parentale. Les parents sont d’ailleurs suivis par une équipe de professionnels. Une technicienne en éducation spécialisée s’occupe de lui, à l’école, quand ça ne va pas. On garde l’œil ouvert.

Un bon matin, je croise Tom qui saigne de la lèvre. Je l’accompagne aux toilettes pour l’aider à le soigner. Je vois alors sur sa lèvre supérieure, ce qui me semble être une brûlure en train de guérir. Tom a arraché la gale. Mon cœur fait un bon et je lui demande tout bonnement comment il s’était fait ce bobo. Il me répond candidement que sa mère a échappé sa cigarette sur lui. Mon cœur s’arrête. Je lui pose d’autres questions. J’ai la certitude que sa mère n’a pas échappé sa cigarette mais qu’elle lui a carrément écrasée sur la lèvre. On voit bien le trou, bien rond et creux. Je l’emmène voir la technicienne et on procède à lui demander de soulever les manches longues de son chandail, puis on découvre son dos. Il a des marques.

On discute avec lui. Il nous parle ouvertement qu’il va voir un monsieur, un ami de sa mère et que celui-ci lui donne des billets rouges (50$). On découvre que ces cadeaux ne sont pas de généreux dons anodins mais qu’il doit performer des actes de nature sexuelle pour les obtenir, avec le consentement de maman. Il n’a pas les mots pour décrire ce qu’il doit faire, alors il mime les gestes. Très explicites. Nous sommes horrifiées.

Ébranlées, nous communiquons avec la DPJ qui retient le signalement. Un représentant va voir directement les parents en leur dévoilant les propos du petit. Le lendemain la DPJ vient rencontrer Tom. Évidemment, il change son histoire et dit que maman ne veut pas qu’il parle.

Bref, nous sommes coincées. Par contre, d’autres événements se produisent et nous permettent enfin d’avoir un dossier béton. Nous sommes conviées à aller témoigner en cour.  Le juge est d’avis que l’enfant est en danger dans sa famille biologique. Par contre, comme il n’y a pas de familles d’accueil disponibles dans la région et que Tom devrait s’éloigner et changer d’école, il décide de le laisser chez lui. Je suis sans mot.  À partir de ce moment, les parents se méfient de nous et l’enfant aussi. Il restera fermé comme une huitre.

Un mois plus tard, sa grande sœur fait un signalement à la DPJ pour violence. Son signalement est retenu. Elle est retirée de la famille, mais pas Tom. Le signalement ne le concernait pas!

Puis, les parents déménagent, emmenant mon beau Tom avec eux, hors de ma portée. Je n’ai plus revu Tom, mais j’y pense souvent. Chaque fois que j’entends son prénom ou que je croise un petit rouquin dans l’école. J’espère qu’il va bien. Je sais que ce n’est pas le cas.

Les Parents et le Mensonge

mensonge

Billet d’humeur à prendre avec un grain d’humour

Mon enfant ne ment pas! C’est ce que me disent de plus en plus de parents qui jurent que leur progéniture, pris la main dans le sac, n’a pas menti et que tout est de la faute de l’autre (l’autre enfant, l’enseignant). Ce à quoi je leur réponds le plus souvent : Si votre enfant ne ment pas, il n’est pas normal. Bon, enfin, c’est ce que je me dis. Parce que si je leur répondais vraiment ça, ce serait assez pour qu’ils me disent que j’accuse leur enfant d’être anormal.

Pire que le mensonge de l’enfant est la réaction des parents quand on les informe que leur enfant a menti.

Le parent avocat

avocat

Le parent avocat défendra son enfant jusqu’à porter plainte à la Commission scolaire si on ne capitule pas. Il ne sait pas ce qu’il s’est passé (il n’était pas là), mais il  croit son enfant. Comme un avocat, peut lui importe vraiment ce qui est arrivé, tout ce qu’il veut qu’on retienne de sa longue diatribe enflammée, c’est que son enfant ne ment pas. Il est le seul juré et sa conclusion est le seul verdict acceptable.

Cher parent avocat, il se peut que votre enfant subisse une injustice, mais faudrait pas mettre tout le système en branle pour un simple mensonge. Il se peut aussi que votre enfant soit déclaré coupable et que ce soit vrai. La peine ne sera pas si grave. Au plus il aura une réflexion à faire, un geste réparateur à poser. Et sachez que les enfants n’ont pas toujours besoin d’avocats. Ils se défendent assez bien seuls. Ou bien ils l’apprendront, ce qui est encore mieux.

Le parent détective

espion

Le parent qui demande les preuves. On lui dit qu’une telle a vu l’enfant porter un geste. Le parent nous répond qu’il veut parler à cette personne. Qu’on lui expose de long en large les étapes qu’on a suivies durant une enquête qui nous a pris 2 heures de notre journée pour venir à bout des versions de tous ceux impliqués, ça ne compte pas. Il veut refaire le travail lui-même. Il ira même jusqu’à communiquer avec d’autres parents, pour s’assurer que le leur a bien été puni, que l’école n’a pas monté un scénario de toutes pièces pour harceler leur chérubin. Il se tiendra près de la cour de récréation et observera son ange interagir avec les autres, pour les prendre sur le fait d’un autre crime beaucoup plus grave qui demanderait notre attention et la dévierait de son chérubin. Cher parent détective, pensez-vous vraiment qu’on conspire pour accuser les jeunes à tort, votre enfant en particulier? On en a des centaines à éduquer ou à martyriser, c’est selon.

Le parent qui exorcise ses démons

diable

J’ai aussi le grand plaisir de recevoir des billets qu’on a envoyés aux parents, dans une enveloppe cachetée, nous revenir par les mains de l’enfant, avec un message bien en vue graffigné à l’encre rouge, comme possédée de la main du diable,  qui dit que son enfant n’a pas menti et que la prochaine fois, on devra le croire! Bien sûr, l’enfant se fait en général un plaisir de nous soumettre la lettre, avec un petit sourire presque diabolique. D’autre fois, l’enfant est mal à l’aise. Il sait qu’il a mal fait. Il culpabilise un peu.

Le parent qui s’exprime est verbomoteur et aussi très peu discret. Sa voix peut monter d’une octave ou sembler venir tout droit d’outre-tombe. Il arrive en coup de vent, exige de nous rencontrer pour nous expliquer à quel point nous sommes incompétents. Habituellement, il a détesté l’école étant jeune et transfère sa haine du système sur nous.  Il ne se gêne pas pour laisser exploser sa colère et cracher son venin sur tout ce qui l’entoure.  Le problème, c’est l’enseignante, toujours sur le dos de son rejeton. Il croit que son enfant est étiqueté et qu’on passe notre temps à le diaboliser. Il exigera qu’on retire la conséquence imposée, il refusera que son enfant assiste à une retenue ou autre.

Cher parent qui exorcise ses démons. Vous vous y prenez très mal et on n’a pas le gout d’être gentil avec vous. Sachez que la prochaine fois que vous vous pointerez à l’école, nous aurons envie de vous éviter, et peut-être qu’on brandira le crucifix pour vous tenir éloigné.

Le parent guerrier

guerrier

Le parent guerrier en veut à l’école, à l’enseignant, à la direction pour la grande injustice qu’on vient de porter envers son enfant. Il a la mémoire longue et vient de déclarer la guerre. Il trouvera toutes les excuses possibles pour envoyer des notes rageuses à l’enseignant de son enfant, comme autant de petits coups de poignard. Il posera des embuscades, soulignera une faute d’orthographe de l’enseignante à gros traits.  Ainsi, il critiquera l’enseignante qui me transmettra, en larmes, le dernier message méchant qu’il a reçu du parent guerrier. Aucune trêve en vue, la guerre froide durera jusqu’à la fin de l’année. Jusqu’à ce que l’enseignante se trouve vaincue. L’enseignant du niveau supérieur tremble déjà en sachant que l’enfant du parent guerrier aboutira dans sa classe l’an prochain.

Le parent de l’extrême droite

extremiste

Le parent de l’extrême droite est « trop de notre bord ». Il nous dit que son enfant est un menteur. Qu’il est pareil à la maison. Qu’il est souvent puni pour ses mensonges. Il fomente la pire des punitions pour dompter son fils. Punition qui pourra même aller à un mois sans amis, ou sans jeu. Bref, il en met trop. Avec le parent d’extrême droite, on en arrive à vouloir banaliser la situation à la dédramatiser, à tenter de calmer le parent car on a un peu peur pour notre petit protégé qui n’a tué personne.

L’enfant du parent extrémiste a très peur qu’on appelle son parent. Il tremble de peur. Ce qui fait qu’on ne communique pas souvent avec ce parent. On règle ça à l’école et on essaie de faire comprendre à l’élève ce que son parent ne comprend pas. Un mensonge, ce n’est pas si grave, mais ce n’est pas bien non plus. Par contre, on comprend le jeune de mentir pour éviter une punition. On le ferait aussi si on avait affaire à un parent extrémiste.

Le parent idéal

entente

Le parent idéal existe. Il compose même la grande majorité de notre population. C’est celui qui ne panique pas, et s’assure d’écouter ce qu’on a à dire avant de porter un jugement. Il ne nous prend pas pour des caves et se dit que si on prend la peine de communiquer avec lui, il prendra la peine d’avoir une vraie conversation. Il pourra même nous faire part de ses inquiétudes en sachant qu’on fera notre possible pour l’aider. Il comprendra que son enfant a commis une bévue mais n’en fera pas un drame. Quand le parent sortira de notre bureau, on aura encore le sourire aux lèvres. On saura que la situation est réglée à la satisfaction de tous (à part peut-être l’élève qui aura à vivre avec les conséquences de son geste). On n’aura pas peur que le petit se fasse battre en arrivant le soir à la maison. On saura qu’on peut compter sur ce parent-là pour collaborer car nous sommes sur la même longueur d’ondes et nous travaillons vers un même but. On a le même objectif : faire de l’enfant un être qui sera équilibré.

Cher parent, votre enfant ment, mais on l’aime et il est normal! Vous voulez savoir pourquoi on ment? Lisez ceci: La vérité sur les mensonge.